MELAINE - Extraits de Presse

 

 

 

           C'est en septembre 1977 que les lecteurs de Plein Nord firent la connaissance de Mélaine (1).

           "Ce fils de la mine qui, dans le décor hallucinant du coron entre un père ivrogne, une mère inculte et une aïeule acariâtre, écrivait alors Pierre Descamps, sera l'innocente victime d'un monde qui assassine chaque jour la jeunesse".

           Le manuscrit dort dans un tiroir. Le temps passe. M. Giard, libraire à Lille n'oublie pas cette œuvre attachante qu'il confie à Michel Marcq. Séduit ce dernier parle de ce manuscrit à Dominique Balland qui l'édite sans hésitation. Un livre signé tendresse, malgré la blessure jamais cicatrisée d'une jeunesse où la résignation s'appelle plutôt révolte contenue parce qu'il faut se faire à sa condition même si les rêves sont ailleurs, et que l'on n'y renonce jamais tout à fait.

           C'est dans le pays noir qu'est né René Berteloot à Ruitz à l'ombre des corons. Il est fils d'un ouvrier "du jour". Même dans ce métier de grande fraternité existent des clivages entre le fond et le jour. Mélaine souffrait de sa condition de pauvre. Le courant ne passe pas entre la mine et lui, et pourtant, parce qu'il comprend qu'il triche avec son milieu, que la vie est ainsi faite, il prendra comme tous les autres du coron, tous ceux de la cité, tous ceux de la mine, le même chemin. Le soir, il consigne sur un cahier ses observations et de ses notes naîtra Mélaine, chronique de la vie quotidienne, qui restitue admirablement les personnages et les paysages qui composent son univers : les parents, la grand'mère, l'instituteur, les compagnons et le cadre de la mine.

           Un véritable écrivain René Berteloot, amoureux de la langue française, soucieux des mots et de leur vérité. Il n'hésite pas à nous préciser que son goût d'écrire a toujours été si vif peut-être parce qu'il a été mineur. Le besoin de faire naître un autre René Berteloot, beaucoup plus proche de ses aspirations, de ses rêves et dont l'imagination sait se mettre au service de la créativié. Il nous réserve deux œuvres dont il nous a dévoilé les thèmes :la première s'appelle "Les navets du diable" une aventure policière sans coupable et sans victime, quant à la seconde elle nous contera l'histoire d'un pauvre type qui se croit le Christ et opère des miracles !

           Mais comme l'a dit si bien un confrère Mélaine sera toujours à René Berteloot "ce que le Grand Meaulnes est à Alain Fournier", parce que l'enfance a ses magies, elle ne s'arrête jamais de mourir, il faut savoir en retenir le merveilleux.

 

 

MÉLAINE, par René BERTELOOT. (Nord-Eclair)

 

           Un ancien mineur explore les galeries de son enfance en pays noir.

           René Berteloot a été pendant seize ans mineur à Bruay-en-Artois et à Lallaing (près de Douai), mais dit-il joliment, "Le courant n'est jamais passé entre la mine et lui". Comment s'évader ? Chaque soir en rentrant de son travail, le mineur prenait sa plus belle plume et racontait, non pas la mine, mais son enfance en pays noir, les ombres bleutées qui parcourent cet univers désormais englouti, la grand-mère Virginie, Hilaire le papa buveur, Gustine, Lydie et tant d'autres... Après trente années de demi-sommeil, le manuscrit paraît chez Dominique Balland : "Mélaine".

           Ce récit est maladroitement sous-titré par l'éditeur : "souvenirs d'un galibot". Mais "Mélaine" s'achève par la descente à la mine du narrateur, à 14 ans et demi. Et nulle part on ne trouvera d'apologie du rude métier de mineur ou de la solidarité des gueules noires. Dans un sens, René Berteloot est un marginal. Il n'a cessé, durant toutes les années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, de creuser une autre veine que celle de ses compagnons de labeur : à force de lectures, René berteloot est devenu un "ouvrier" de la langue...

 

 

Des accents de fureur

 

           A 54 ans, il trouve encore des accents de fureur en évoquant la mine.

          "Mes premiers écrits ont été pour exprimer mon indignation, mon écœurement, mon amertume pour ce métier difficile que je n'aimais pas... J'ai eu le goût d'écrire parce que j'étais mineur".

          "Mélaine", c'est l'histoire d'un gamin du coron de Ruitz, dans le Pas-de-calais. Mille choses qui passent et que l'enfant capte aussi adroitement qu'un collectionneur de papillons. Mille signes parfaitement perçus, mille réalités plantées droit dans le cœur. Mille nostalgies, mille poèmes insaisissables, mille soirs avec l'âme oppressée et les yeux pleins de nuit. Le petit "Mélaine" prend conscience qu'à l'intérieur même de la société des mineurs, il n'est qu'un "petit pauvre" :son père, mineur de jour, est moins payé que ceux qui descendent au fond. Et surtout ce père fort en gueule gaspille une partie de l'argent du ménage en tirant trop souvent ce que les marins appellent "une droite verticale" (pour mettre la bouteille à la bouche).

           Ce n'est pas une enfance malheureuse, mais une prise de conscience : le temps fait des bulles et la dureté des hommes fait lentement surface sous les yeux de celui qui est devenu un adolescent. Mais à aucun moment René Berteloot ne sombre dans le misérabilisme. Zola avait mené son enquête et accumulé les fiches pour publier "Germinal" (1885). René Berteloot n'a besoin que de laisser courir sa plume sur son cahier à spirales pour vous égratigner le cœur : une belle écriture calligraphiée qui sent son premier prix de composition française.

 

 

Un style "vieille France"

 

           "J'aime la langue, j'aime les mots, explique René Berteloot... C'est aussi par malice que j'ai choisi un style "vieille France" qui ne correspond pas à l'idée qu'on se fait de la langue du mineur".

           L'ancien mineur ne recule pas devant les subjonctifs imparfaits, extrayant du sous-sol de la langue quelques vieux mots français qui forcent le lecteur à ouvrir son dictionnaire. Parti-pris de l'autodidacte qui prend sa revanche sur un cursus scolaire arrêté au "certif'" et serre dans ses bras les chers instituteurs du bon vieux temps.

          "J'aurais tout fait pour éviter la mine s'il n'y avait eu cette règle absolue du milieu : quand on a 14 ans, et qu'on est un homme, on descend au fond" dit René Berteloot.

           Le petit garçon frustré d'études s'est bien rattrapé par la suite. Voilà qu'avec son frère Paul et Ignace Gornik il lance une revue de littérature prolétarienne "Musée du Soir". Seuls sont invités à collaborer les gens de "métier", pas les gens de plume ou les penseurs verbivores, mais ceux dont les mains calleuses travaillent le charbon, le bois, la pierre... L'aventure dure sept, huit ans : René Berteloot a installé une presse à épreuves (à bras) dans sa chambre de Lallaing, et il parvient à tirer "quelques exemplaires lisibles".

          En matière de littérature, on ne fait que tourner des pages : René Berteloot est parti vi­vre avec sa femme dans la région de Saint-Etienne et travaille à la mine de là-bas, la "Manu". Mais sa manie d'écrire dans les marges du jour ne l'a pas quitté. Il prépare une histoire "semi paysanne dans le centre de la France", et le récit de la vie d'un "pauvre type" qui, à l'occasion d'une Passion dans un village d'Artois, se prend pour le Christ : on ne se guérit pas si facilement de l'aimable névrose de l'écriture.

                                                                                                                           Antoine PLATTEEL,  Dominique Balland (277 pages, 95 F)

 

 

MÉLAINE, (Relations presse Dominique Balland)

Souvenirs d'un galibot

par René Berteloot

           "C'est à la porte de "la Triboulette" que Mélaine reconnut un jour son père, pour la première fois, parmi ceux qui venaient de boire. L'enfant eut alors un mouvement de peur ; et peut-être de honte. Hilaire sortait de la Triboulette en se passant la langue sur les lèvres encore blondes d'un ourlet de mousse..."

           Une partie du décor est plantée.

           Au moment où sont publiés les Carnets d'Enquêtes de Zola, voici les souvenirs d'un galibot (apprenti mineur de moins de dix-huit ans, selon Larousse), Mélaine, dans les années 50. La réalité de la mine, après guerre, a peu changé depuis Germinal : univers des corons, atmosphère de moiteur et de suie, vie quotidienne parfois dramatique.

           Mais René Berteloot ne succombe jamais au misérabilisme.

           Mélaine est un récit écrit à l'encre violette avec la force, la naïveté et le talent d'un authentique ancien mineur qui aujourd'hui se souvient et raconte. Les personnages et les paysages qui composent son univers, les parents, la grand-mère, l'instituteur, les compagnons et le cadre de la mine sont remarquablement décrits.

          Et au-delà du récit autobiographique apparaissent les caractères et la destinée d'une génération qui incarne déjà une mémoire collective de cette région du Nord Pas-de-Calais.

          Avec "Mélaine", l'ancien mineur René Berteloot a écrit le "Grand Meaulnes" du pays noir... (La Voix du Nord, vendredi 18 septembre 1987)

René Berteloot a travaillé seize ans au fond. A Bruay-en-Artois et Lallaing. Son premier livre vient de paraître.

          Attention, René Berteloot n'est pas un mineur-écrivain. Mais un écrivain-tout-court qui a passé son enfance et une partie de sa vie de travailleur dans les corons et à la fosse. Alors, bien sûr, son livre "Mélaine", maladroitement sous-titré "Souvenirs d'un galibot" par l'éditeur, a pour cadre le monde clos de la mine. Attention, on ne trouvera pas ici une sympathique contribution magnétophonée à la "mémoire collective". Il s'agit d'une œuvre. D'écrivain. D'un homme qui se collète avec l'écriture comme si sa vie en dépendait. Comme si le monde en dépendait. Et sa vie et le monde finissent par en dépendre. "Nos souvenirs sont des poètes", dit René Berteloot.

           Attention, nous voilà tout à coup en présence d'un écrivain. Et d'un livre "Mélaine" que certains connaisseurs placent déjà au premier rayon. Aux côtés du "Grand Meaulnes" par exemple...

Une enfance humiliée dans un pays "caché à la pitié divine".

           Car René Berteloot a écrit un merveilleux livre d'enfance. Celle d'un gamin de Ruitz, entre fosse et pâtures, dans les années quarante. Un petit pauvre dans "un pays déshérité, caché à la pitié divine". Le fils d'un ouvrier du jour, un peu mythomane et fort buveur, et d'une mère dévorée par le quotidien en ces temps de maigres quinzaines. Une enfance humiliée, comme le sont toutes les enfances sensibles, mais aussi rêveuses, cruelle, joyeuse à l'image des enfances que nous ne savons comment oublier.

           Seulement, le petit Mélaine sait ce qu'il veut. Ou plutôt ce qu'il ne veut pas : il ne veut pas descendre. Il ne veut pas aller travailler au fond à quatorze ans comme c'est la règle alors dans ce pays baptisé du nom de l'entreprise, "Les Houillères". Il ne veut pas descendre parce qu'il ne veut pas devenir comme ces hommes qu'il côtoie, comme son père dont l'horizon est limité au coron, à la fosse et à l'estaminet.

L'enfance ne peut s'enfermer dans une cage noire.

           La liberté, Mélaine la trouve à l'école. L'école qui ouvre d'autres espaces, coloriés comme les cartes de géographie, lumineux comme une règle de trois, balisés à l'infini selon la bonne règle des chronologies, des espaces où l'homme peut s'imaginer devenir maître sinon de son destin, du moins de la conscience de son destin.

          Mais le petit pauvre ne peut tricher longtemps, avec le conformisme social, plus étouffant peut-être en pays minier qu'ailleurs. A quatorze ans, il lui faudra préparer sa musette sous l'œil réconcilié de sa mère. Ainsi se termine le livre de Mélaine.

           Mais René Berteloot ajoute à voix basse : "Il a cédé, il a abandonné l'école, mas il n'a pas abandonné l'étude, il est devenu autodidacte. "

L'aventure du "Musée du Soir"

           René Berteloot encore : "Tous les soirs, en rentrant du travail, j'écrivais pour moi, les petites choses de la vie, je ne voulais pas les oublier. Pour moi. C'était comme un besoin de revanche. Etre mineur, ce n'est pas un métier, c'est une condition qui vous colle à la peau. Mais si je n'avais pas souffert au fond, je n'aurais jamais pu écrire..."

           Il faut s'arrêter un instant sur ces mots qu'il vient de prononcer.

           Les relire au besoin. Parce qu'ils nous aident peut-être à mieux comprendre le crucifiant mystère de l'écriture. Pourquoi un jeune galibot se met-il à la plume pour devenir un véritable écrivain ?

           Les livres, les cahiers, le jeune Berteloot avale tout.

           Et à la fin des années cinquante, avec son frère Paul et avec Ignace Gornik, mineur lui aussi, il lancera l'étonnante aventure du "Musée du Soir" : "C'était une petite revue, explique-t-il, où nous publiions des œuvres d'écrivains qui travaillaient de leurs mains. Et par exemple l'instituteur ne devait pas se mêler d'écrire la vie du paysan.

           C'était notre seule règle. Pour le reste, nous faisions tout nous-mêmes après nos journées à la fosse. J'ai dû apprendre la composition typographique à la main. Après les premiers numéros tirés sur stencils, nous avons pu nous procurer une presse à épreuves, à bras bien sûr. Je l'avais installée dans ma chambre, à Lallaing, à côté du lit. Ce furent des années enthousiasmantes... Mais nous avions beaucoup d'auteurs, moins de lecteurs et encore moins d'argent. Et il a fallu s'arrêter au bout de six ou sept ans".

          Voilà qui est l'auteur de "Mélaine".

Une voix inouïe

           Bien qu'il ait 54 ans, à la publication de son premier livre, on ne peut le considérer comme un débutant. Il écrit depuis toujours ou presque. Et il continue. C'est sa respiration à lui, son éthique, sa manière de vivre. Et il nous fait entendre une voix. Inouïe. la voix de Mélaine qui ne se remettra vraiment jamais de la cruauté des adultes, victimes eux-mêmes de leur propre méchanceté. Nul n'emploie le mot juste, dit René Berteloot, l'image est fausse et le récit aussi. Une écriture "à l'encre violette" dit son éditeur.

           "J'ai le culte de la langue française : elle est belle", répond simplement Berteloot. Et malicieusement il ajoute : "Pourquoi faudrait-il parler patois pour raconter la mine ? J'ai volontairement choisi un style "vieille France" pour le décalage". Et puis parce que la réalité ce n'est pas cette carte postale grise et noire, la réalité, savez-vous, c'est ce qui se passe dans la tête d'un enfant..."

                                                                                                                                                                       M. VAN PARYS