A propos de « J'ai faim ! » . . .

 

 

     Récemment, un des visiteurs du site internet de l'A.P.L.O. nous a demandé si nous connaissions le poème « J'ai faim » publié dans l'Almanach de la Question Sociale, de 1901 (ouvrage édité par P. Argyriadès)*.

     Nous ne connaissions encore pas ces almanachs de la Question Sociale, parus de 1891 à 1903, mais nous connaissions le poème « J'ai faim » de Eugène Pottier, publié dans son recueil « Chants Révolutionnaires », en 1848.

     Vérification faite, il s'avéra que le « J'ai faim ! » publié dans l' A.Q.S de 1901 était dû à la plume de Jean Baptiste Clément.

     Cela nous titilla quelque peu et nous nous dîmes : Si ce thème « J'ai faim » a inspiré Pottier et Clément, ne se pourrait-il pas qu'il ait inspiré d'autres poètes ? Nous cherchâmes donc, et trouvâmes. Ainsi livrons-nous à votre réflexion cinq autres poèmes sur le même thème « J'ai faim ».

     Les cinq auteurs de ces poèmes nous sont inconnus, d'autant que l'un deux est anonyme. Tous ne présentent pas, au regard de la littérature ouvrière, le même intérêt que les textes de E.Pottier ou J B. Clément, mais tous ont au moins le mérite . . . d'exister.

     Nous commençons par publier, en rappel, le texte de J B. Clément et celui de E. Pottier. Puis suivront celui de Pablo Neruda, celui de Esther Granek, celui de Iboujo, celui de Paf-Paf, pour terminer par celui de Hugo98.

                                                                                                                                        

                                                                                                                                 L' A.P.L.O.

 

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* Il est à noter que ces Almanachs de la Question Sociale contiennent grand nombre de textes et documents d'auteurs anarchistes, révolutionnaires ou de pensée ouvrière.

Antérieurement à la publication de ces A.Q.S., est parue une revue « La question Sociale » publiée également par P. Argyriadès, dont nous ne trouvons plus aucune trace, fut-ce à la Bibliothèque Nationale. Si quelqu'un, parmi nos adhérents ou nos visiteurs possède ou bien sait où se procurer cette revue, nous le remercions par avance de vouloir bien nous en informer .

 

 

 

J'ai faim !

Dites donc, vous les gens du code

Qui vous arrangez à la mode

Quand nous demandons notre pain ;

Dites, que faut-il que je fasse ?...

Mais regardez-moi bien en face . . .

J'ai faim !

Travailler … ce n'est pas facile :

Depuis un mois, de ville en ville,

Je cours, la casquette à la main.

J'ai cinquante ans et bon courage,

Mais je ne trouve plus d'ouvrage . . .

J'ai faim !

Hé ! Dis donc, toi qui fais la noce

Et qui bouffe comme un molosse,

Si tu pensais à ton prochain ?

C'est pas l'usage chez les nôtres

De manger les uns sans les autres . . .

J'ai faim !

Dites donc, les aristocrates

Qui ne faites rien de vos pattes,

J'ai des durillons dans la main.

Excusez si je vous dérange,

Mais aujourd'hui ça me démange . . .

J'ai faim !

Hé ! Monsieur le capitaliste,

Juif, catholique ou panamiste

Avec vos airs de sacristain,

Pendant que vous courez la gueuse

Et que vous la courez joyeuse . . .

J'ai faim !

Vous ignorez ce qu'il en coûte

De trimarder sur une route

Dont on n'aperçoit pas la fin,

D'avoir l'estomac qui vous tire

Et d'être obligé de se dire

J'ai faim !

Or, savez-vous, Messieurs nos maîtres,

A force de traîner nos guêtres

Sans travail, sans gîte et sans pain :

La femme, ça se prostitue,

L'homme ne se vend pas, il tue . . .

J'ai faim !

                                                                                                  J B. Clément

 

 

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J'ai faim

J'ai faim ! J'ai faim ! Dit le corps,

Je n'ai pas le nécessaire ;

Le ver ronge moins les morts

Que les vivants, la misère.

Quand donc aurai-je du pain ?

J'ai faim, dit le corps, j'ai faim !

J'ai faim ! J'ai faim ! Dit l'esprit

Je ne vais pas à l'école ;

En vain la nature écrit,

On croit l'erreur sur parole.

Quand donc aurai-je du pain ?

J'ai faim, dit l'esprit, j'ai faim !

J'ai faim ! J'ai faim ! Dit le cœur,

Et je n'ai pas de famille ;

Mon fils est un escroqueur

Et ma fille est une fille.

Quand donc aurai-je du pain ?

J'ai faim, dit le coeur, j'ai faim !

J'ai faim ! J'ai faim ! Dit le tout.

Faim d'amour et de justice ;

Sème ton grain, que partout

La triple moisson jaunisse.

Alors l'homme aura du pain,

Nature n'aura plus faim !

                                                                 E. Pottier

                                                                   Mars 1848

 

 

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J'ai faim

J’ai faim de tes cheveux, de ta voix, de ta bouche,
sans manger je vais par les rues, et je me tais,
sans le soutien du pain, et dès l’aube hors de moi
je cherche dans le jour le bruit d’eau de tes pas.

je suis affamé de ton rire de cascade,
et de tes mains couleur de grenier furieux,
oui, j’ai faim de la pâle pierre de tes ongles,
je veux manger ta peau comme une amande intacte,
et le rayon détruit au feu de ta beauté,

je veux manger le nez maître du fier visage,
je veux manger l’ombre fugace de tes cils,
j’ai faim, je vais, je viens, flairant le crépuscule

et je te cherche, et je cherche ton coeur brûlant
comme un puma dans le désert de Quitratúe.

***

Tengo hambre de tu boca, de tu voz, de tu pelo,
y por las caltes voy sin nutrirme, callado,
no me sostiene el pan, el alba me desquicia,
busco el sonido líquido de tus pies en el día.

Estoy hambriento de tu risa resbalada,
de tus manos color defuriosogranero,
tengo hambre de la pálida piedra de tus uñas,
quiero comer tu piel como una intacta almendra.

Quiero comer el rayo quemado en tu hermosura,
la nariz soberana del arrogante rostro,
quiero comer la sombra fugaz de tus pestañas

y hambriento vengo y voy olfateando el crepúsculo
buscándote, buscando tu corazón caliente
como un puma en la soledad de Quitratúe.

                                                                                                            (Pablo Neruda)

 

 

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J'ai faim

J’ai faim
d’un moment d’attention
m’ouvrant un horizon
que je mendie sans fin. J’ai faim
de ce regard d’autrui
m’offrant comme un crédit
lorsque tout tourne à rien


J’ai faim
J’ai faim et je m’emplis
d’un rêve inaccompli.
Mon espoir est-il vain ? J’ai faim
Et ma faim ne s’apaise.
Et mon air très à l’aise
ne me trahira point.

                                                                                    Esther Granek

 

 

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J'ai Faim

 

J'ai faim de printemps, de bourgeons qui éclatent,
De l'abeille qui bourdonne, affairée de la patte,
A écouter les vents et leurs histoires de fous,
La terre ne donne pas, ni dessus , ni dessous.J'ai faim d'espérance, d'amoureuses alliances,
De profuses jacinthes à bleuir les sous-bois,
Des jonquilles , des crocus ,des pervenches,
Et des roses trémière ,en cercle, qui se déploient.J'ai cette envie de les prendre toutes en vol ,
Mais je ne peux voler, je rampe sous le sol,
Vers les filles de la ville ou de la campagne,
Savantes comme un livre ou bêtes comme l'âne.J'ai faim de toi, n 'attends pas le laurier,
Les belles que voila , doivent me rassasier,
Et me voici dansant, sous terre à humer,
Quand l'été me conduit sous un parterre rosetè.Au coeur de la rose d'un calice lézardé,
Feuille après feuille, je digère mon banquet,
Des cendres de pétales de sang coagulé,
A la table de son lit, je me suis invité....J'avais froid, j'avais faim....
C'est moi , le ver de terre qui dévorait.....

                                                                                                                              iboujo

                                                                                                                                         maitre poète

 

 

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J'ai faim

Lègue moi
La naïveté de vivreLe tous premier son
(Caresse extérieur)
Celui du bonheur
D’un premier cocon.Rends moi
L’enthousiasme et le fantasme
De mes premiers amoursDonne moi
La force d’apprécierLe tous premier souffle
(Douleur éphémère)
Celui qui me rouffle
Pour voguer sans mère.Remets moi
Toute la peine et Toute la haine
Des mes premiers chagrinPermets moi
L’envie changer les chosesLa première couleur
(Tendresse de ce monde)
Celle que l’âme effleure
Pour mêler le monde.Redonne moi
L’inconscience et l’insouciance
Des premières expériencesConsens moi
Un peu de répitsLe tous premier pas
(Toucher essentielle)
Sur la fine ficelle
Qui peut rompre ou pas.Restitue moi
Les émotions, les illusions
Des premières sensations

                                                                                     Paf-Paf

 

 

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J'ai faim...


Cette nuit est pour toi la dernière.
Je prendrai de ta bouche l'essentiel.
Mes lèvres sur tes lèvres aspireront la chair,
étoufferont tes pleurs, récolteront le miel.
Au bouillon de tes larmes,
pour l'ajout de saveurs,
j'embrasserai tes yeux pour recueillir le sel,
et lécherai le poivre des taches de rousseur.
Ces baisers pour dévorer ton âme,
mélangés à l'alcool du parfum de ton cou,
iront sucer le sang des veines qui palpitent.
Et si tu me résistes...
Le feu de mon chaudron attisé par leur roux,
Je veux bien sur ma soupe les cheveux de ta nuque.
Comme un fruit en dessert nourrissant de son suc,
je boirai à tes seins le lait de ton envie.
Ma femme, mon animal, mon être de la nuit,
je voudrais que la faim toi aussi te dévore,
et comme deux vampires, nourrisse nos deux corps.

                                                                                                    Hugo98