Il y a 64 ans . . . Marcinelle

 

        Dans cet article, notre ami et collaborateur Willy Parfondry revient sur la catastrophe du Bois du Cazier, à Marcinelle (Belgique) qui coûta la vie à 262 mineurs de fond.

 

        Devoir de mémoire ...

      par Willy Parfondry

 

       

        Il y a 64 ans, 8 août 1956: catastrophe au charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle:  262 morts, 183 veuves, 387 orphelins.

        A ce propos,six jours plus tard, soit le 14 août 1956. l'écrivain-mineur Constant Malva écrivait à son ami, mon père, Marcel Parfondry,

        Vous trouverez son témoignage dans la retranscription tapuscrite ci-après de sa lettre.

 

Texte de la lettre envoyée par Malva

à Marcel Parfondry le 14 août 1956

suite à la catastrophe du Bois du Cazier du 8 août

        Mon cher Parfondry,

        Je me demande ce que tu deviens.Il se pourrait si tu ne viens pas toi-même avant ou ce même weekend que je parte chez toi le dernier weekend d'août. Mais tu peux venir toi-même. Moi, je remettrais à plus tard.

        Venons en à la catastrophe. Je ne sais ce que tu penses de tout cela. J'aurais du mal d'accuser quelqu'un. Le coupable, celui qui a provoqué la catastrophe, d'après les éléments de l'enquête est sans doute un ouvrier, l' encageur du fond ou le machiniste. La cage est partie avant que le chariot soit complètement engagé. C'est une suite de circonstances malheureuses. Les sauveteurs et les dirigeants jouent de malheur. De la façon dont cela s'est produit, le rythme du travail est ralenti de plus de moitié. Et qu'on ne vienne pas dire que c'est la faute des dirigeants. Ce n'est pas le directeur du charbonnage qui a dit de faire partir la cage avec un chariot à moitié ou aux trois quarts engagés. Et, de ce fait, la dite cage est immobilisée rendant la manœuvre beaucoup plus difficile.

        Il ne faudrait pas croire que je défend les dirigeants pour accabler les ouvriers. Tous les hommes, toute l'humanité est coupable. C'est ce progrès à outrance, ce rythme forcené de la production.

        Je ne sais si tu auras les mêmes réactions que les miennes (je suppose que si) c'est cette mise en scène funèbre, ce spectacle funéraire, ce cortège lugubrement carnavalesque. Ces comédiens de la radio et autres me dégoûtent au plus haut point

        On exploite la douleur humaine à des fins spectaculaires Il me semble qu'il y a là un manque énorme de tact.

        Le seul que je trouve bien (c'est peut-être un saligaud) et c'est justement un patron, c'est Van den Heuvel directeur du Corps des mines. Il est clair, précis ; il ne prend pas ce ton faussement larmoyant. Il me fait l'effet d'un homme écrasé par ce qui lui arrive.

        On m'a demandé un article pour ''Samedi''. Mais comme il paraîtra avec 10 jours de retard Il ne sera plus d'actualité car, me fiant aux communiqués je gardais une note optimiste. Mais les à-côtés restent valable. Et je fais allusion à la mort spectaculaire du mineur, pour parler de la mort ignorée, discrète longue et pénible de la silicose Tu verras ça.

        Voilà mon vieux. Je crois que ces dernières impressions tranchent eu peu sur celles de la majorité.

        Au revoir,

        Cordialement

        C Malva

 

        L'original manuscrit de cette lettre se trouve aux Archives du Musée de la Littérature à Bruxelles et fait partie de la correspondance non éditée de Constant Malva avec Marcel parfondry entre 1953 et 1958.

        Willy Parfondry

        29/7/2014

 

 

 

         Vous trouverez ci-après un article du journal Le Soir mis en ligne par Marcel Leroy le 31/7/2003 qui apporte un autre témoignage, celui de Jean Van Lierde.

        A la fin de la guerre 39-45, Jean est un jeune chef Scout entré dans la résistance. C'est la fin de la guerre et les troupes allemandes sont en déroute.

        Sa patrouille capture un fuyard et ses compagnons veulent le "liquider". 

        Jean les en empêche en disant "on ne va quand même pas se comporter comme eux !" et le prisonnier est remis aux Autorités. La guerre est terminée, mais quand le jeune Jean Van Lierde, résistant décoré est appelé à faire son service militaire, il refuse. 

        L'épisode du prisonnier allemand a éveillé sa conscience et à l'époque,  les objecteurs de conscience sont envoyés en prison.

        Ses amis anarchistes Léo Campion et Hem Day (Marcel Dieu) ameutent l'opinion publique.

        Le mouvement Scout et les Autorités catholiques interviennent en sa faveur et, pistonné de la sorte, le Directeur de la prison lui annonce sa libération.

        Jean la conditionne à la libération des autres détenus objecteurs de conscience, notamment, les Témoins de Jéhovah ! Pas d'accord: Il refuse donc de quitter la prison !

        In fine, le compromis arrive: on convertit la peine de prison en peine de travail: il devra travailler au charbonnage.

        C'est ainsi qu'en 1952 il devient mineur de fond au Bois du Cazier. Les conditions de travail et la sécurité y sont désastreuses et il se fait le porte-parole militant de ses compagnons de travail, ce qui vaudra son licenciement.

        En 1953, il déclenchera un scandale en publiant avec les Jeunes Gardes Socialistes un livret intitulé " 6 mois dans l'enfer d'une mine belge ".

        3 ans plus tard, la catastrophe y faisait 262 morts

 

Article du journal Le Soir :

 

Marcinelle - Jean Van Lierde, le mineur rebelle du Bois du Cazier, a témoigné au musée :

Grande gueule et insoumis

* Le rebelle, l'ingénieur et le compagnon de fond réunis. En 1953, le livret de Van Lierde sur Marcinelle lui avait valu d'âpres critiques.

par Marcel LEROY

 

        Il vient de sortir de l'hôpital, est âgé de 78 ans, porte une barbe grise et ses yeux lancent des éclairs quand il se souvient de ses luttes d'hier. Jean Van Lierde, surnommé « l'insoumis » dans les années 50, qui fut peut-être le premier objecteur de conscience, en Belgique, continue à militer pour la paix et se souvient de ses mois de fond au Bois du Cazier. C'était en 1952. Voix grave - mots coulants sans une seule hésitation -, il laisse affleurer les émotions et l'indignation.

        Le directeur du musée marcinellois, Jean-Louis Delaet, avait organisé cette rencontre entre Van Lierde et Jean Demeuse, ancien ingénieur du charbonnage de Fontaine-l'Evêque ainsi que le mineur Mario Ziccardi, qui échappa à la mort, le 8 août 1956, parce qu'il était en voyage en Italie cet été-là.

        L'insoumis avait fait scandale, en 1953, quand il publia, avec les Jeunes gardes socialistes, un livret de 20 pages intitulé « Six mois dans l'enfer d'une mine belge ». Trois ans plus tard, le témoignage du rebelle se voyait dramatiquement confirmé par les 262 morts du Bois du Cazier.

       Van Lierde avait fait de la résistance dans la région de Wavre. Ce chrétien qui se considérait comme un communiste, au sens où il partageait avec les autres, se souvient d'avoir rencontré à Marcinelle... tant de souffrances, tant de pauvreté et tant de richesses. Pour avoir refusé de porter l'uniforme et les armes, il avait été mis en prison. Puis, avec l'aide du chanoine Cardijn, il avait été autorisé à descendre dans la mine, une forme de service civil avant l'heure. A l'époque, on était en pleine bataille du charbon. Il fallait des mineurs. Était-ce le fait que je sortais de tôle ou que j'étais objecteur de conscience ? On ne voulait pas m'embaucher. Mais au Cazier, que l'on considérait comme un sale charbonnage, on me permit de descendre à 1035. Maman aurait préféré que je revienne en prison plutôt que de descendre dans le fond. Je me souviens de la chaleur terrible, des kilomètres sous la terre avant d'arriver aux chevaux, des rats qui ont bouffé mes tartines le premier jour. Il fallait produire, aller plus vite. On m'a retiré 1/5 de mon salaire. Les camarades, des étrangers, n'osaient pas protester. Je comprenais...

        Face à ce récit, l'ingénieur Demeuse dit qu'à Fontaine, les patrons étaient humains. Mais... Au Cazier, il y avait des choses qui n'étaient pas normales. De l'huile dans la balance hydraulique. Chez nous, c'était de l'eau. Après la catastrophe, l'huile a été interdite. J'avais dit ce que j'avais à dire. Mario Ziccardi, contemporain de Van Lierde, le suit quand il s'insurge sur les conditions de vie, mais précise : Il faut dire aussi que l'ingénieur en chef Calicis aimait ses mineurs. Il était descendu le premier, avec Angelo Galvan, pour tenter de retrouver des rescapés. Chacun selon leur point de vue, les hommes ont traversé les événements. Van Lierde s'est arraché à la mine, a poursuivi son activité de militant, sans jamais oublier le fond. En visitant le musée, devant les douches, il s'étonnait : Tiens, elles étaient bleues ! On a retiré la couche de crasse ! Pour moi, les douches, c'était un cloaque de boue. Grande gueule, comme, on disait à l'époque, Jean Van Lierde l'est resté. Au sens où il ne la ferme pas. Parmi le public, Freddy Guidé, du Centre culturel la Posterie, qui prépare une semaine ouvrière sur la sidérurgie, va inviter l'insoumis à Courcelles.

        Où sont les Van Lierde de 2003 ? Pour Guidé, Les pressions sont autres. Les chocs moins frontaux. Les uns et les autres, on l'a vu lors des grandes fermetures d'entreprises, hormis à Clabecq, sont coincés par les traites à payer. L'histoire continue.

 

        Jean a été l'initiateur de l'obtention d'un statut des objecteurs de conscience: Ce n'est qu'en 1964, que le Parlement belge vote le Statut de l'Objection de Conscience accordant aux jeunes belges le droit de refuser de tuer et d'apprendre à tuer « même à des fins de défense nationale ou collective » (article 1 du Statut).

        PS  Dans l'entité de Sivry-Rance, Marcel Marique, un Rançois, ouvrier mineur, ancien prisonnier de la guerre 40-45, compte aussi parmi les victimes. Il a sa pierre funéraire au cimetière de Rance.

   

     W. Parfondry, pour l' APLO

 

          N.B. L'ouvrage « 6 mois dans l'enfer d'une mine Belge » est présent et consultable dans la Bibliothèque du Fonds A.P.L.O.